Les protagonistes
Henry Frugès, le commanditaire aux multiples facettes
Henry Frugès (1879-1974), industriel sucrier girondin, érudit, curieux, grand amateur d’art et artiste lui-même, découvre les idées de Le Corbusier à la lecture de Vers une architecture publié en 1923. Il le sollicite tout d’abord pour son projet à Lège : la création d’un petit lotissement ouvrier. Mais l’industriel voit plus grand et ambitionne de permettre à Le Corbusier de faire la démonstration du bien-fondé de sa pensé- constructive et architecturale révolutionnaire ; il imagine un quartier entier. Il acquiert à Pessac une clairière bordée de pins, avec pour ambition d’y édifier une cité-jardin de 150 à 200 villas, et de favoriser ainsi l’accès à la propriété des classes « laborieuses ». Les Quartiers Modernes Frugès seront le premier ensemble d’habitats individuels de Le Corbusier. Ils compteront finalement cinquante-et-une maisons. C’est une réalisation révolutionnaire du fait des matériaux et méthodes constructives utilisées, de son esthétique, de son confort moderne et de son prix accessible.
Le Corbusier et Pierre Jeanneret, les architectes
Charles Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier (1887-1965), est un architecte autodidacte suisse, naturalisé français en 1930.
À l’occasion de ses différents voyages, il se forme, entre autres, auprès des frères Auguste et Gustave Perret avec qui il expérimente le béton armé. Il s’installe à Paris dès 1917, collabore avec la SABA avec laquelle il bâtit le château d’eau du parc Chavat de Podensac (Gironde), sa première construction en France. Sa rencontre avec Amédée Ozenfant pour qui il réalise une maison-atelier à Paris, marque le début du purisme et de son travail de théorisation de l’architecture et de l’urbanisme. Avec lui il fonde et écrit pour la revue L’Esprit Nouveau et prend le pseudonyme de Le Corbusier en 1920. Ses articles seront compilés et augmentés à l’occasion de la publication de Vers une architecture, manifeste pour une architecture moderne au service du plus grand nombre, publié en 1923. C’est l’année précédente que débute la collaboration avec son cousin et architecte Pierre Jeanneret (1896-1967) au sein de l’atelier du 35 rue de Sèvres. L’association des deux architectes avant-gardistes et visionnaires, donnera lieu à de nombreuses recherches, projets et réalisations. Parmi eux, les Quartiers Modernes Frugès dès 1924.
René Vrinat, l’ingénieur
René Vrinat (1896-1986), ingénieur formé à l’École des Arts et Métiers et à l’Institut des Sciences Politiques de Paris. Aviateur aguerri durant la guerre de 1914-1918, il va effectuer deux années d’études aux États-Unis vers 1922-1924/25. Il travaillera notamment à Detroit pour le constructeur automobile Ford.
Il entre à la raffinerie Frugès en 1925. Henry Frugès lui confie alors la charge des chantiers de construction des lotissements de Lège et de Pessac. Il travaille aussi avec Charles Cazalet* dont il est très proche. Il en défendra les projets urbains. Il sera chargé par le maire de Bordeaux Adrien Marquet, de liquider la société du pont transbordeur, à la mort de Cazalet. Dévoué à son travail, il ne se préoccupera absolument pas des critiques bordelaises durant le chantier ; homme aux vues « planétaires », il aura une carrière internationale surtout après la Deuxième Guerre mondiale. Comme Cazalet et Frugès, les critiques et même les échecs, ne le détournent pas des actions entreprises.
*Charles Cazalet (1858-1933) grande figure bordelaise, est intimement lié à la vie de cette cité au début du XXe siècle. Il crée l’Œuvre bordelaise des bains-douches à bon marché, la Société bordelaise des habitations à bon marché, et l’Œuvre bordelaise des jardins ouvriers.